L’athlétisme tournerait-il à l’envers ? Au 4e jour des Mondiaux à Pékin, mardi 25 août, un pays fait la nique aux grandes nations du stade (Etats-Unis, Grande-Bretagne et Jamaïque), en tête du classement des médailles. Le Kenya en a déjà neuf, dont quatre en or. Ses marathoniens avaient pourtant mal lancé l’affaire, samedi matin, en glissant avec désespoir dans le ventre mou de la course. Mais un inconnu long comme une baguette chinoise, Nicholas Bett, a relancé la mécanique, mardi soir, au Nid d’oiseau. Au couloir 9, tout à l’extérieur, le Kenyan a montré ses semelles à la meute des finalistes du 400 m haies. 47”79, meilleur temps mondial de la saison. Un gain de plus d’une seconde sur son record personnel.

«Dans les 80 derniers mètres, je me suis dit qu’il fallait que j’accélère. Mon corps a répondu. Je suis très heureux», a expliqué le vainqueur d’une voix lente. Admettons. Une performance dont on retiendra, au-delà des quelques doutes sur son auteur, qu’elle situe le Kenya à une nouvelle place sur l’échiquier mondial. Au rang des pays où l’athlétisme se pratique du sprint au fond, avec ou sans haies. A l’américaine.

Que les traditionalistes se rassurent, il existe encore une épreuve où les victoires kényanes sont logiques et attendues : le 800 m. A Pékin, David Rudisha était favori. David Rudisha a gagné. Le Kenyan a pris le train à son compte au coup de feu du starter. Il ne l’a plus laissé. A l’arrivée, le chrono a déçu, «seulement» 1’45”84, la faute à un premier tour avalé comme un footing. Mais la logique a été respectée. Ouf.

A y regarder de près, cette finale mondiale du 800 m n’a pourtant pas vraiment ressemblé à un long fleuve tranquille. Certes, le recordman du monde  s’est offert un titre dont il avait été privé en 2013 par une grave blessure au genou. Mais il a en bavé, Rudisha. Preuve de ses doutes, il a dû puiser dans la boîte à trouvailles pour s’éviter le pire. Comprenez, à l’intox. Pierre-Ambroise Bosse, le Français de la course, 5e à l’arrivée, l’a expliqué à sa sortie de la piste : «L’autre Kenyan, (Ferguson) Rotich (4e), est venu me parler avant le départ, alors que j’allais vers l’urinoir. Il m’a prévenu que Rudisha allait voler, qu’il allait refaire le coup des Jeux de Londres.» Aux JO en 2012, il était parti comme un boulet dès le départ de la finale, à un rythme de dingue, tuant la course dans l’œuf, pour s’offrir dans un même récital le titre olympique et le record du monde (1’40”91).

Pierre-Ambroise Bosse n’y a pas vraiment cru. Il n’avait pas tort. Peu sûr de sa condition, David Rudisha n’a pas vraiment forcé l’allure, passant au premier tour en 54”17. Mais le Français le reconnaît : «Mon erreur, je l’ai faite dans le premier 200 m. J’aurais dû partir. Rudisha est trop respecté. Personne n’ose l’attaquer.» A l’arrivée, le Kenyan n’a pas eu un regard pour ses suivants. «J’étais tellement heureux, après toutes les épreuves que j’ai traversées ces dernières saisons, raconte-t-il. Encore le mois dernier, j’avais des problèmes avec ma vitesse. Mais quand j’ai senti que je l’avais retrouvée, j’ai eu la certitude que j’allais gagner cette finale, que le train soit lent ou rapide.»

A la deuxième place, un Polonais connu pour son finish, Adam Kszczot. A la troisième, un Bosniaque peu attendu à pareille fête. De son propre aveu, Amel Tuka ne s’imaginait pas monter sur le podium. «Je m’entraîne depuis seulement six ans, ce sont mes premiers championnats du monde, dit-il. Et voilà que je ramène une médaille, la première de l’histoire pour mon pays. C’est un rêve. Je suis vraiment fier pour les gens, en Bosnie-Herzégovine, je sais qu’ils doivent être en train de faire la fête.»

Dans son coin, Bosse n’en pense pas moins. Peu servi par sa stratégie de course, le Français est venu mourir à 33 centièmes de la médaille de bronze. Il s’en veut. Surtout, il se retient de ne pas en dire plus long sur ce Bosniaque inconnu jusqu’au dernier meeting de Monaco, en juillet où il avait mis son record en pièces et écrasé la concurrence. Interrogé par France Télévisions sur la possibilité de gagner une place en cas de disqualification du Polonais, qui a mis un pied en dehors de la piste, il a eu cette réponse : «De toute façon, je ne suis pas 4e mais 5e, donc une disqualification de Kszczot ne suffirait pas pour me faire monter sur le podium. Remarquez, je pourrais finir par avoir la 3e place. Mais bon, je ne vais pas m’étendre, je ne peux pas dire ce que je pense.» Dommage.